1) Je l'ai promis à un chum, un vrai, un des rares que je peux dire qui m'a connu y'a des lustres et du genre qu'on veut garder dans son entourage.
2) J'ai envie de parler du sujet, pas plus compliqué que ça.
Alors voilà, ça me hante, ça me démange, pis ça me fait bin bizarre quand j'y pense ou pire encore quand j'en parle. Faut que je me lance: j'ai un ami qui est soldat en Afghanistan.
Bon c'est dit, lancez-moi pas de roches. Fut un temps ou j'aurais jamais pensé dire ça...
Moment flashback de la soirée: on était dans le cours d'espagnol en secondaire 5... je vous ai dit que ça remontait à des lustres hein?.... pis on avait un prof super-comique, qui nous faisait chanter en espagnol pour apprendre la langue. Encore à ce jour, je peux chanter la Cucaracha d'une voix de basse virile. Alex était dans le cours, assis 2-3 bureaux à ma droite. Un grand maigre, brun... Pas intéressé à lui parler, mais il était bin chum avec une fille bin cute... dont je me rappelle plus le nom d'ailleurs, cliss que je vieillis.
En tout cas, toujours est-il qu'en ado gêné, maladroit et boutonneux, bref en ado typique, j'ai commencé à jaser avec la bête pour approcher la belle. Concours de circonstance, le gars est sympathique, on a des intérêts communs fait qu'on reste bin chum pendant le reste du secondaire et le cégep. Alex lache les études pis moi je continue, mais on se revoit souvent, sporadiquement puis le néant d'une couple d'années.
Flash forward à cet été. Coup de fil. Alex, qui me dit qu'il est déménagé proche de chez nous, qu'il veut me jaser après un trou de plusieurs années. Je l'invite à souper.
C'est comme avoir retrouver un frère longtemps disparus, on se jase de tout et de rien, mais là il me lâche la bombe dont il avait seulement annoncé les prémices: il part en Afghanistan dans quelques jours. Criss, en plein quand je suis en train de savourer ma salade César.
On continue à jaser de ça, moi avec mes vues libérales et libertariennes et lui qui m'expliquent que c'est une job, ce qu'il fait exactement, sa situation là-bas etc.
Ça été un double-chocs, presque un satori: retrouver un vieux pote en même temps que de me faire confronter à des valeurs tellement différentes. On parle beaucoup de la guerre, on la voit à la télé, mais je pense que tant que c'est à la télé ça reste un peu surréel. On s'attend quasiment à voir Arnold Schwarzenegger venir nous sortir un de ses 'one-liner' mais là ça devient réel, concret.
T'as en face de toi un gars qui te décrit cette réalité-là, qui te parle de l'effet d'une grenade à fragmentation en te montrant des vidéos youtube tournés là-bas par les forces canadiennes. Ayoye, moi avoir un chum qui est en Afghanistan? Sacrament, c'est quoi d'abord avoir un frère, un cousin, un neveu, un oncle (notez que le féminin s'applique aussi)?
En y repensant, je réalise que c'est pas la réalité de la guerre qui m'a autant marqué, c'est son entrée de plain-pied dans ma réalité, mon propre petit cercle, ma bulle confortable d'idées préconçues et belles valeurs toutes neuves comme un collection de Hot Wheels encore dans leur emballage. C'est pourtant pas grand chose, les risques sont sommes toutes minimes. On ne parle pas des croisades, ni au point de vue idéologique ni au point de vue pertes humaines. Pourtant après ça on se rend compte de la perte du confort intellectuel derrière lequel on peut se permettre de regarder tout ça de haut.
Ouais, maintenant j'ai un chum en Afghanistan et je ne vois plus l'armée comme le monolithique bras armée de l'empire. C'est encore une entité tout ce qu'il y a de plus humain, entaché d'hommerie et des objectifs pas toujours nobles de nos instances supposément dirigeantes, mais c'est aussi une machine dont je vois maintenant les rouages. Et dans tout ça, y'en a qui est un de mes bons amis.
Fait attention à ton cul Alex, la prochaine bière est sur mon bras!
Alex 'Butch' Boucher dans son quotidien des prochain mois....
